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Artemis Skrepeti © (Mercredi Saint) le 20 avril 2022, Laconie, Péloponnèse, Grèce.

APPEL À CONTRIBUTION | CARGO 17 :
« Rite et économie : l’épaisseur matérielle des rituels »

 

 

Dossier coordonné par :

Katerina Seraïdari, Centre d’Anthropologie sociale (CAS)/Université Toulouse-Jean Jaurès

Artemis Skrepeti, Centre d’Anthropologie culturelle (Canthel)/Université Paris Cité

Modalités de soumission des articles et calendrier :

Le titre, le résumé (10 à 15 lignes), et les mots-clés de l’article doivent être soumis en français ou en anglais aux coordinatrices du dossier Katerina Seraïdari (k.seraidari@gmail.com) et Artemis Skrepeti (artskrepeti@yahoo.com) et aux rédacteurs en chef de la revue (cargo.canthel@gmail.com) avant le 7 novembre 2025. Les contributeurs et contributrices sélectionnés seront prévenus avant le 30 novembre 2025.

Les articles, en français ou en anglais, devront faire entre 30 000 et 50 000 signes espaces compris, en incluant la bibliographie, et pourront contenir des illustrations libres de droit. La première version de l’article sera à soumettre à l’équipe éditoriale pour le 27 février 2026. La deuxième version, révisée en fonction des commentaires de l’équipe, sera à soumettre pour l’évaluation en double aveugle pour le 24 avril 2026. Avant de soumettre votre article, assurez-vous de consulter la note aux auteurs disponible sur le site de la revue (cArgo_Reco_Auteur). Cette étape est cruciale pour que votre soumission respecte toutes les normes éditoriales.

Argumentaire :

Dans les sciences sociales, l’étude des rituels a longtemps été l’apanage de la sociologie et de l’anthropologie des religions, qui ont étudié leur rôle dans la production de sens et par rapport à la notion d’efficacité symbolique, ainsi que leur contribution à la cohésion sociale et à la reproduction des mythes. Le domaine des « études rituelles » (ritual studies) a élargi ce champ d’étude, en se penchant sur des rituels profanes ou religieux, initiatiques ou syncrétiques, ou encore hybrides et sur leurs dynamiques afin de saisir comment ils façonnent et transforment les individus et les sociétés. Dans ce contexte théorique, le rituel est abordé comme un objet d’étude à part entière (Bell, 1997 ; 2009). C’est son épaisseur matérielle, c’est-à-dire sa dimension matérielle et économique qui nous intéressera plus particulièrement ici.

La dimension économique des rituels a été un sujet d’analyse central dès les débuts de l’anthropologie sociale et culturelle, comme le démontrent les travaux fondateurs sur le Potlatch de Boas (1897), le Kula de Malinowski (1922) et la question du don et du contre-don posée par Mauss (1923-1924). Ces approches théoriques peuvent encore être utilisées de manière féconde pour l’analyse des rituels de notre époque, qui sont bien plus imprégnés par la logique du marché. Quelle est la place du don et de la dette dans le cadre d’un rituel contemporain ? Par quels moyens le rituel réussit-il à s’éloigner de la sphère marchande ? Qui paie pour quoi et pour quelle raison, et quelles sont les règles définissant le paiement ? Paie-t-on en nature ou en argent, ouvertement ou secrètement ? Comment connaître le « juste prix » à payer dans un contexte où la dimension du secret est prédominante (Favret-Saada, 1977) ?

La question que nous voulons traiter dans ce numéro thématique est de savoir comment les enquêtes ethnographiques, basées sur différentes théories de l’anthropologie économique, permettent de mettre en lumière l’épaisseur matérielle des rituels.

Selon l’approche formaliste, les rituels peuvent être analysés comme une série de choix rationnels, où les acteurs calculent les coûts (biens, temps, énergie) pour maximiser des gains (sociaux ou spirituels). Elle postule que ses concepts (liés aux principes de l’économie néoclassique, tels que la rationalité, la rareté ou la maximisation) peuvent s’appliquer à toutes les sociétés, indépendamment du contexte culturel. Dans ce cadre théorique, comment prendre en compte la dimension collective et symbolique des rituels sans réduire leur complexité à une simple équation coût-bénéfice ?

De son côté, le substantivisme, qui considère l’économie comme « encastrée » (embedded) dans les institutions sociales et culturelles (Polanyi, 1944 ; Sahlins, 1972) nous permet de sortir, à la fois, de la logique de marché et des simplifications selon lesquelles une économie primitive ne serait qu’une économie de la misère. Bien au contraire, l’étude de certaines sociétés, notamment celles qui mettent en question le modèle occidental du développement, révèle la possibilité d’un rejet de la logique économique dominante. Elles peuvent ainsi être perçues comme des sociétés contre l’économie (Clastres, 2017). Dans ce cadre qui pose d’une nouvelle manière la question de l’abondance, les rituels agissent comme des mécanismes de réciprocité (échange de dons) ou de redistribution (centralisation et partage des biens). Leur objectif n’est pas le profit individuel, mais la création et le maintien des liens sociaux. En somme, les rituels révèlent une logique économique qui n’est pas basée sur l’offre et la demande, mais sur le don et l’obligation sociale.

Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss (1962 : 46-7) nous explique que le jeu est un processus « disjonctif », puisqu’à la fin de la partie, les participants « se distingueront en gagnants et perdants» ; en revanche, le rituel est conjonctif, dans la mesure où « le ‘jeu’ consiste à faire passer tous les participants du côté de la partie gagnante ». Le rituel est souvent présenté dans ce cadre théorique comme le lieu du désintéressement, comme une anti-structure sociale, où l’abolition des protocoles permet de fraterniser sans arrières-pensées et d’entrer en communion, loin de toute forme d’antagonisme social et de calcul rationnel, comme avec la notion de communitas de Turner (1969).

Dans l’approche marxiste proposée par Godelier (1966 ; 2000), les rituels ne sont pas considérés comme de simples superstructures idéologiques, mais comme des pratiques qui contribuent activement à la création et à la consolidation des rapports de production et de pouvoir. Cette perspective soulève une question fondamentale : comment les rituels peuvent-ils non seulement reproduire les rapports de pouvoir, mais aussi susciter des formes de résistance ou de subversion face aux structures économiques et sociales dominantes ?

La théorie de la pratique de Bourdieu (1994 ; 2000) nous éclaire sur la manière dont les rituels sont des lieux où les acteurs accumulent différentes formes de capitaux (économique, social, culturel), tout en les transformant en capital symbolique (prestige, honneur). Pour Bourdieu, le rituel s’inscrit souvent dans une « économie des choses sans prix » (ibid. : 182), dans laquelle celui qui agit ne peut pas être assimilé à un sujet calculateur mais reste un agent qui « laisse l’intérêt économique à l’état implicite, ou bien, si on l’énonce, c’est par des euphémismes, c’est-à-dire dans un langage de dénégation » (ibid. : 184).

Il faut ajouter ici l’ouvrage collectif édité par Gudeman et Hann (2015), qui montre, par une analyse qui s’écarte des analyses macroéconomiques traditionnelles, comment le rituel et la microéconomie des ménages sont imbriqués dans certaines régions postsocialistes. Les auteurs soutiennent que, contrairement aux théories de la modernisation qui prédisaient le déclin des rituels au profit de la rationalité économique, les deux sphères restent encore profondément liées.

L’anthropologie économique, combinée aux études rituelles, nous offre un cadre prometteur pour approfondir ces interrogations. Faut-il prendre en compte ou refuser de considérer l’intérêt économique et l’aspect utilitariste du rituel (situé traditionnellement en dehors du monde du travail et la sphère du marché) ? Comment justifier son positionnement méthodologique par rapport à ces questions en relation avec son propre terrain ethnographique ? Comment penser le rituel en lien avec les contrats et les échanges, les offrandes et les aumônes (Bondaz et Bonhomme, 2017), l’ascétisme et le luxe, l’accumulation et la consommation, voire la destruction de biens ? Comment les objets circulent-ils d’un rituel à l’autre, et dans quelle mesure ce recyclage est-il justifié par des raisonnements à la fois symboliques, pratiques et économiques ? D’autres interrogations émergent dans ce cadre. Quelle est la dimension économique des objets utilisés durant un rituel, des souvenirs religieux (Kotsi, 2007) ou des lieux fréquentés, qu’ils soient naturels, improvisés et précaires ou, au contraire, constamment agrandis et majestueux (Albert, 2000) ? Comment la rareté ou l’usure définissent-elles la valeur des choses dans un cadre rituel ? En relation avec quel contexte rituel peut-on parler d’appauvrissement ou, au contraire, d’enrichissement ?

La dimension économique renvoie également aux charges festives et aux sources de financement des rituels (Skrepeti, à paraître ; Baudry, 2023 ; Seraïdari, 2005 : 75-136), au tourisme religieux, ainsi qu’aux pertes et aux bénéfices économiques engendrés par le déroulement des activités rituelles (Makrides et Seraïdari, 2019). La relation entre la valeur des choses et leur efficacité rituelle est un autre sujet qui interpelle. En effet, un objet rituel fait d’éléments communs et peu chers, peut parfois se révéler beaucoup plus puissant qu’une chose constituée de matières précieuses.

Le but sera d’analyser comment la ritualité crée, mobilise et distribue des ressources. Quels sont les coûts financiers et qui les prend en charge ? Comment le travail est-il partagé et quelle place est laissée au bénévolat ? Comment les biens circulent-ils sous la forme d’offrandes, de cadeaux, de sacrifices et de nourriture ? Comment définir la production de valeur symbolique (prestige, statut, légitimité) qui peut être convertie en capital économique ?

Nous souhaitons dépasser l’opposition classique entre l’économique et le symbolique pour se concentrer sur les objets, les corps et les lieux et leur implication tant rituelle qu’économique. Nous recherchons des analyses qui éclairent la manière dont les rituels sont intégrés dans des systèmes de production et de consommation, qui examinent la façon dont ils génèrent de la richesse, de la subordination ou de la dette, et qui interrogent leur capacité de structurer (ou non) les inégalités et les relations de pouvoir. Les propositions devront démontrer comment la recherche ethnographique sur le terrain (entretiens, observations, et enquêtes sur les socio-histoires locales) éclaire et renouvelle les approches théoriques sur les dimensions économiques des rituels.

Références bibliographiques citées

Albert, J.-P., 2000, « Des lieux où souffle l’Esprit », Archives de Sciences sociales des Religions, n° 111 : 111-123.

Baudry, F., 2023, « Économie de marché, migrations et évolutions du système des charges rituelles », Terrain, n° 79 : 174-181.

Bell, C., 1997, Ritual: Perspectives and dimensions, Oxford, Oxford University Press.

Bell, C., 2009, Ritual theory, ritual practice, Oxford, Oxford University Press (1ère édition 1992).

Boas, F., 1897, The Social Organization and the Secret Societies of the Kwakiutl Indians, Washington, D.C., Smithsonian Institution.

Bondaz, J. et Bonhomme, J., 2017, L’offrande de la mort. Une rumeur au Sénégal, Paris, CNRS Éditions.

Bourdieu, P., 1994, Raisons Pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Éditions du Seuil.

Bourdieu, P., 2017, Anthropologie économique. Cours au Collège de France 1992-1993, Paris, Le Seuil et Raisons d’Agir (1ère édition 2000).

Clastres, P., préface (p.11-35) dans Marshall, S., 2017, Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives, Paris, Gallimard.

Favret-Saada, J., 1977, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard. Godelier, M., 1996, L’Énigme du don, Paris, Fayard.

Godelier, M., 2000, « Aux sources de l’anthropologie économique », Socio-anthropologie [En ligne], 7. Mis en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 2 septembre 2025. Disponible sur : http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/98

Gudeman, S. et Hann, C. (dir.), 2015, Economy and Ritual: Studies of Postsocialist Transformations, New York, Berghahn Books.

Herskovits, M. J., 1940, The Economic Life of Primitive Peoples, New York, Alfred A. Knopf.

Kotsi, F., 2007, « Les souvenirs religieux du mont Athos. La frontière entre symboles sacrés et objets économiques », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 170 : 48-57.

Lévi-Strauss, C., 1962, La Pensée sauvage, Paris, Plon. Makrides, V. N. et Seraïdari, K., 2019, « Christianisme orthodoxe et économie dans le sud-est européen contemporain », Archives de Sciences sociales des Religions, n° 185.

Malinowski, B., 1922, Argonauts of the Western Pacific, London, Routledge & Kegan Paul.

Mauss, M., 1923, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’Année sociologique, vol. I, n°2 : 30-186.

Polanyi, K., 1944, The Great Transformation, Boston, Beacon Press. Sahlins, M., 1972, Stone Age Economics, New York, Aldine.

Seraïdari, K., 2005, Le culte des icônes en Grèce, Toulouse, PUM.

Skrepeti, A. (à paraître). « The Krokees Carnival in Laconia (Greece): An Analysis of the Carnivalesque and Ritualesque», Dans J. Santino (dir.), Is Carnival Carnivalesque?, Journal of Festive Studies.

Turner, V., 1990, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, Paris, Presses universitaires de France (1ère édition 1969).

Bibliographie indicative sur les rituels (non citée)

Bowie, F., 2021, « Anthropology of religion » in Stroumsa, G. G. (dir.), The Wiley Blackwell Companion to the Study of Religion, Hoboken, NJ, Wiley Blackwell : 1-24.

Brosius, C. et Hüsken, U. (dir.), 2010, Ritual Matters. Dynamics and Stability in Ritual Performances, New Delhi & London, Routledge.

Dartiguenave, J.-Y., 2001, Rites et ritualité : essai sur l’altération sémantique de la ritualité, Paris, L’Harmattan.

Dianteill, E. (et al.), 2004, La modernité rituelle: Rites politiques et religieux des sociétés modernes, Paris, Flammarion.

Dianteill, E., 2014, Marcel Mauss, en théorie et en pratique. Anthropologie, sociologie, philosophie, Paris, Archives Karéline.

Durkheim, É., 2003, Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Paris, Presses universitaires de France (1ère édition 1912).

Geertz, C., 1957, « Ritual and Social change, a Japanese example », American Anthropologist, n° 59, 1 : 32-54.

Rivière, C., 1990, « La ritualisation des mythes révolutionnaires » in Chalas, Y. (dir.), Mythe et révolutions, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble : 133-149. Remarque : La ville de l’éditeur de l’ouvrage collectif manquait.

Van Gennep, A., 1992, Les rites de passage, Paris, Picard (1ère édition 1909).

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