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Commentaire de Jean Paul Colleyn

 

Chasser le génie. Exorcisme à Bamako.

Au Mali, la maladie due à un génie (jinèbana), est communément admise par les musulmans et les adeptes des cultes animistes1. Ces maladies se manifestent par une variété de symptômes somatiques ou mentaux. Les différents rituels thérapeutiques étudiés passent tous par l’identification du génie responsable de ces troubles, mais les cures diffèrent sur des point fondamentaux. L’exorcisme reçoit en islam une légitimité dont se revendiquent aujourd’hui les marabouts qui le pratiquent. Le Coran admet en effet l’existence des djinns, comme en attestent plusieurs articles de l’Encyclopédie de l’Islam et une abondante littérature facilement accessible sur une grande diversité de sites Internet. En islam, les djinns (je me conforme à la graphie de l’Encyclopédie) sont des « êtres corporels formés d’une vapeur ou d’une flamme, doués d’intelligence, imperceptibles à nos sens ; ils peuvent apparaître sous différentes formes et sont capables d’accomplir de pénibles travaux » (al Baydawi, commentaire sur le Coran 52, I ; al-Damiri, Hayawan, s/v. djinn). Ils ont été créés d’une flamme sans fumée (Coran, 55, 14-15) tandis que les hommes et les anges, les deux autres classes d’êtres intelligents, ont été faits de limon et de lumière. Ils peuvent avoir part au salut ; Muhammad a été envoyé aussi bien pour eux que pour l’humanité ; une partie d’entre eux ira au paradis, tandis que d’autres seront livrés aux flammes de l’enfer. Leurs rapports avec Iblis, Shaytan, et les démons en général, sont obscurs. Dans le Coran, 48, 48, Iblis est donné comme étant un djinn, mais d’après le Coran 2, 32, il serait un ange (malâʾka). Il en résulte une grande confusion, car nombre de légendes et d’hypothèses se sont formées à de sujet. Sous la double influence du christianisme et de l’islam, les Maliens francophones traduisent jinè par « diable » et les possédés par « endiablés », ce qui est pour le moins outré. Quoi qu’il en soit, les djinns sont donc des créatures de Dieu. Les Arabes de La Mecque en faisaient d’ailleurs des compagnons d’Allah et imploraient parfois leur aide (Coran, 52, 6). Toute une littérature rapporte même des histoires de relations amoureuses entre djinns et êtres humains, ou des récits de relations entre les saints et les djinns. Ces derniers sont néanmoins moins considérés comme indésirables, car ils sont responsables de troubles de la personnalité. Une méthode d’extraction des djinns2 appelée roqya, centrée sur les psalmodies coraniques et la force du verbe fait florès non seulement dans tout le Mali mais dans les pays voisins et au Maghreb. La psalmodie exerce une pression décisive sur les djinns en ce qu’elle est la parole du prophète incarnée par la voix du guérisseur. Etant donné la progression des idées réformatrices, qui refusent tout compromis avec les pratiques anciennes non légitimées par le soit par le Coran seul, soit par le Coran et les hadiths, on assiste, depuis les années 1940 à un durcissement de la pratique de la roqya. Cette mouvance réformatrice de l’islam, généralement qualifiée de salafiste ou de wahhabite est en effet très influente au Mali et se distingue par l’importance accordée au texte, au verbe et aux incantations. Elle préconise un exorcisme radical : les djinns doivent être chassés du corps des possédés par la roqya fondée sur les textes coraniques. Les raqi ou praticiens de la roqya ont pour spécialité de pouvoir débarrasser les patients qui souffrent de troubles comportementaux des djinns qui les tourmentent ou des agressions en sorcellerie. D’une certaine manière, à l’instar des évangélistes du Nigeria et du Ghana, en se faisant forts de les identifier et de les éradiquer, ils relancent la croyance au diable et aux sorciers. Le succès thérapeutique des ces lettrés musulmans prospère évidemment sur les carences de la médecine publique, qui est de fait officieusement privatisée et qui, pour une grande partie de la population, demeure hors d’atteinte. Bien qu’il ne se réclame d’aucune obédience théologique précise, la démarche de Youssouf Kanté s’inscrit dans cette lutte vigoureuse contre le diable et les démons.

Depuis 2001, Youssouf Kanté s’est forgé une réputation de guérisseur hors pair. Il exorcise et soigne par le Coran les personnes convaincues d’être possédées par les génies maléfiques. Il nous a permis de filmer dans son centre de soins de Bamako, au Mali en décembre 2016. Notons qu’à la différence des cultes de possession, lors d’un exorcisme pratiqué par un marabout comme Youssouf Kante, celui-ci n’est jamais possédé ; il est armé de sa baraka, ce qui fait de lui un être humain hors du commun, mais aucun génie ne le possède. Bien que son objectif soit l’exorcisme, remarquons que l’exorciseur, s’il ne conclut pas une alliance durable avec le génie, négocie avec lui, le subjugue, le convertit éventuellement à l’islam et en reçoit en retour un certain savoir, notamment botanique. Il veille cependant à éviter tout associationnisme, tout chirk, c’est à dire à tout appel à une force divine distincte de Dieu.

1 Communément qualifiés de Bamana

2 Dans la culture écrite, la notion est généralement orthographiée djinn, la forme francisée.

Jean-Paul Colleyn, né à Bruxelles en 1949, est un anthropologue spécialisé dans la réalisation de films documentaires. (IMAF- (EHESS, IRD, CNRS, Univ. paris I, EPHE, AMU)

Date de réalisation : 2016
Durée du programme : 27 min
Classification Dewey : Anthropologie
Catégorie : Documentaires
Disciplines : Anthropologie, Ethnologie
Langue : Bambara
Conditions d’utilisation / Copyright : Jean Paul Colleyn, 2016

Saison 1

[ Les films de cArgo #4 ] Chasser le génie. Exorcisme à Bamako.
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