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Henry Louis Gates Jr. : entretien à propos de Black Church

Professeur de littérature et d’études Afro-Américaine à l’Université Harvard, docteur Honoris Causa de l’université de Cambridge (UK), Henry Louis Gates Jr. est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur l’origine, l’histoire et la culture des Noirs américains. Son ouvrage Black Church – De l’esclavage à Black lives matter (2023) est le premier traduit en français.



Erwan Dianteill : Je lis régulièrement vos livres depuis The Signifying Monkey (1988), ouvrage fondateur des études afro-atlantiques, et j’ai le sentiment que Black Church, en plus d’être une mine d’or factuelle et bibliographique, est votre livre le plus personnel depuis vos mémoires (Colored People : A Memoir, 1994), et certainement le plus engagé sur le plan subjectif . Le dernier chapitre, en particulier, relate une expérience religieuse intense vécue pendant votre adolescence. Pensez-vous qu’il soit possible de parler de la religion de manière détachée ?

Henry Louis Gates Jr. : Je suis fasciné par le rôle de l’Église depuis mon enfance, mais je ne suis pas le seul… Lorsque j’ai interviewé Oprah Winfrey pour la série télévisée [Cette citation est tirée de la série télévisée « The Black Church : This Is Our Story, This Is Our Song »], elle m’a dit, et je cite : « L’Église a donné aux gens un sentiment de valeur, d’appartenance et d’utilité. Je ne sais pas comment nous aurions pu survivre en tant que peuple sans l’Église« . Et Adrienne Kennedy, qui est une dramaturge de plus de 90 ans, une amie très chère, a dit, je cite : « L’Église noire nous a maintenus ensemble en tant que peuple. »

ED : Vous pensez que l’Église noire a créé le peuple afro-américain d’une certaine façon ?

HLG : Grâce aux historiens Linda Heywood et John Thornton, nous savons que les victimes africaines de la traite négrière appartenaient à une cinquantaine de groupes ethniques. Nous étions donc le premier peuple véritablement panafricain, et ce qui nous unissait était l’Église.

ED : Cela nous amène au célèbre débat entre E. Franklin Frazier et Melville Herskovits : le premier pensait que les cultures africaines avaient été complètement effacées avec l’esclavage, tandis que le second retrouvait l’héritage africain chez les Noirs des Amériques. Quelle est votre position sur cette question ?

HLG : Il est totalement faux de dire que le Passage du milieu était si sévère qu’il a créé une tabula rasa culturelle. Herskovits avait raison. Les gens qui étaient dans ces navires ont apporté leurs goûts culinaires, leurs langues, bien sûr, leur système métaphysique. Ils ont apporté leurs dieux, et bien sûr, ils ont apporté leur musique, leur modèle de type ‘call and response’, qui sont fondamentaux pour la culture expressive afro-américaine. Les mots ont survécu,  la syntaxe, la grammaire ont survécu. Mais leur religion a également survécu.

ED : Sait-on plus précisément d’où venaient les Africains réduits en esclavage aux Etats-Unis ? Cela a-t-il eu une influence sur la religion afro-américaine ?

HLG : L’une des grandes surprises pour moi a été l’un des résultats de la base de données sur la traite transatlantique des esclaves créée par David Eltis et David Richardson. Il s’agit d’un ensemble de données très sophistiqué, analysant environ 35 000 voyages à travers l’océan, amenant des Africains réduits en esclavage vers le Nouveau Monde. Par exemple, savez-vous, puisque vous êtes un grand spécialiste de la culture et de la religion Yoruba, que seulement 3 % des Africains qui sont arrivés aux États-Unis étaient des Yoruba, originaires de l’ouest du Nigeria ou du Dahomey, aujourd’hui la République du Bénin ? 16 % étaient originaires de l’est du Nigeria. Plus important encore, environ 25 % venaient de Sénégambie et 25 % du Congo et de l’Angola. Pourquoi est-ce important en termes d’histoire de la religion ? Eh bien, nous savons que l’Islam est arrivé en Afrique de l’Ouest au 10ème siècle et qu’il était répandu au milieu du 12ème siècle. Donc, beaucoup de ces esclaves étaient des musulmans pratiquants au moment où ils ont été capturés, sans aucun doute. Mais, curieusement, d’autres sont également catholiques romains, ou, devrions-nous dire, catholiques romains congolais, car le roi de Kongo s’est converti en 1491. Les élites du royaume du Kongo étaient catholiques. En fait, le roi était si avisé qu’il a envoyé son fils Henrique au Portugal pour y être formé. En 1521, Henrique avait été ordonné évêque et s’était installé à Mbanza Kongo.

En d’autres termes, les Africains qui ont embarqué sur les navires et sont venus dans ce qui est devenu les États-Unis, étaient de trois grands groupes religieux. Certains étaient des musulmans pratiquants – en majorité de la Sénégambie. Certains étaient catholiques romains. John Thornton et Linda Heywood ont insisté sur le fait que ceux qui venaient du Congo et de l’Angola avaient au moins été aspergés d’eau bénite. Et si vous regardez les registres, beaucoup avaient des noms chrétiens. Nous n’avons pas assez de noms pour être sûrs qu’ils étaient catholiques, mais nous en avons quelques-uns. Il n’y avait pas de juifs. Donc, des trois religions abrahamiques, deux étaient représentées sur les navires négriers. Mais la grande majorité pratiquait les religions africaines « traditionnelles » et le culte des ancêtres. Les Yoruba ont engendré le candomblé [Brésil], la santeria [Cuba], le vodun [Haïti] et même le hoodoo à la Nouvelle-Orléans. En outre, Cuba, Haïti et le Brésil étaient des colonies majoritairement catholiques. C’est une grande différence avec les États-Unis, qui étaient majoritairement protestants. À Cuba et au Brésil, la religion yoruba a surpassé les autres religions africaines, pour des raisons sur lesquelles vous avez beaucoup écrit et sur lesquelles j’ai moi-même travaillé.

Ainsi, ce qui a organisé la vie des esclaves du Nouveau Monde, c’est la religion. Non seulement ils n’ont pas perdu leur religion, mais ils en ont eu besoin au plus haut point, à cause du cauchemar existentiel qu’était l’esclavage.

ED : Quand le christianisme s’est-il vraiment implanté chez les Noirs des colonies britanniques ?

HLG : Nous ne savons pas grand-chose des premières années de culte des 388 000 Afro-Américains venus directement d’Afrique avant 1808, qui marque la fin du commerce atlantique vers les USA. Ce n’est qu’avec le Great Awakening vers 1740 que les Noirs ont été évangélisés. Avant le Grand Réveil, il y avait d’énormes débats sur cette question dans les Églises chrétiennes blanches.

Chaque année, je montre à mes étudiants un pamphlet publié par Morgan Godwin [The Negro’s & Indians advocate, suing for their admission to the church, or, A persuasive to the instructing and baptizing of the Negro’s and Indians in our plantations, 1680], qui était diplômé d’Oxford, et qui se décrivait comme l’avocat des Noirs et des Indiens. Son argument était que ces gens devaient être convertis parce qu’ils avaient une âme. C’est l’une des choses que j’ai écrites dans mon livre sur les Cahiers de Bordeaux (Gates, Henry Louis et Andrew S. Curran, eds. Who’s black and why? a hidden chapter from the eighteenth-century invention of race. Cambridge, Massachusetts: The Belknap Press of Harvard University Press, 2022). Morgan Godwin écrivait: « Je sais que ces gens sont des êtres humains parce qu’ils savent lire et écrire, et qu’ils ont la « risibilité », c’est-à-dire la capacité de rire. Et je demande toujours à mes étudiants : « Dites-moi, quels sont les éléments fondamentaux pour être un être humain ? ». Et ils ne répondent jamais « le rire » !

Mais Morgan Godwin ne s’opposait pas à l’esclavage. C’est très important. Il plaidait pour leur salut au ciel, mais pas pour leur liberté. En fait, il dit explicitement que les convertir n’est pas les libérer, car la Bible est très, très claire sur les serviteurs qui doivent obéir à leur maître. Elle ne dit pas que le salut signifie que les esclaves doivent être libérés. Les anglicans ont donc commencé à convertir les esclaves à contrecœur. Les Quakers ont très tôt déclaré que l’esclavage était une abomination, mais il n’y a pas beaucoup d’Afro-Américains qui sont devenus Quakers. C’est vraiment au moment du Grand Réveil, à partir de 1740, que les méthodistes et les baptistes ouvrent leurs portes à notre peuple, qui se convertit en nombre record.

ED : Était-ce le début de l’Église noire en tant qu’institution ?

HLG : Oui, les premières institutions officielles afro-américaines sont les Églises chrétiennes. En 1773, trois ans avant que Jefferson n’écrive la Déclaration d’indépendance, la première congrégation baptiste africaine de Savannah a été formée. À peu près à la même époque, l’Église baptiste de Silver Bluff dans le comté d’Aiken, en Caroline du Sud, a été instituée, tandis que la première Église baptiste de Petersburg, en Virginie, a été créée en 1774. Il se passait donc quelque chose à ce moment historique. Ces Églises sont en quelque sorte apparues en même temps. Et il y en a eu une autre, la First Baptist Church de Williamsburg, en Virginie. On peut donc dire sans se tromper que l’Église noire est l’institution la plus ancienne, la plus pérenne et la plus importante de l’histoire du peuple afro-américain.

ED : Que trouvaient les esclaves dans cette institution ?

HLG : C’est quelque chose dont je n’ai pris conscience que lorsque j’ai réalisé la série de films et écrit le livre. C’est là qu’ils ont appris à lire et à écrire parce qu’ils devaient apprendre à lire et à écrire la Bible pour adorer un Dieu libérateur, pour développer une foi en l’avenir. Pas seulement après la mort, « de l’autre côté du Jourdain », mais dans un avenir ici sur terre, où leurs enfants et leurs petits-enfants seraient un jour libres. C’est là qu’ils ont formé leur vision politique et façonné leurs talents d’orateurs. En outre, et peut-être le plus important de tous, c’est là qu’ils ont développé leur musique.

Et ce que j’ai réalisé, c’est qu’à partir de ces formes de musique sacrées, le blues, le ragtime, le jazz, le rhythm’n’blues et même le hip-hop ont fini par émerger. L’Église noire était un laboratoire culturel. Chaque semaine, les prédicateurs s’entraînaient à l’art oratoire car ils devaient émouvoir la congrégation. S’ils ne la faisaient pas bouger, la congrégation les mettait dehors. C’était un public très exigeant. La congrégation s’attendait à être divertie, émue et poussée à l’enthousiasme, au sens de la possession spirituelle.

ED : Donc le rôle de la musique était lié à la possession spirituelle?

HLG : La musique est devenue une extension de l’art oratoire, et l’art oratoire est devenu une extension de la musique. Ainsi, ils ont créé ce que WEB DuBois appelait les « sorrow songs » (chants de tristesse). Et c’étaient des génies individuels, tout comme Shakespeare, ou tout autre grand auteur. On ne peut pas croire que les gens s’asseyaient ensemble et inventaient des chansons. Certaines personnes étaient dotées d’un talent poétique, et elles ont composé ces magnifiques poèmes à Dieu, sublimes et obsédants, qui ont été mis en musique : « Go Down, Moses », « Steal Away (to Jesus) », et tous ces cantiques. C’est devenu un laboratoire culturel.

Le dimanche matin, les gens venaient à Dieu pour demander le pardon, se faire pardonner l’adultère, les pensées impures et tout le reste. Mais la religion ne se limitait pas au dimanche. Il y avait des réunions de prière le mercredi et des répétitions de chorale le jeudi, et l’Église organisait vraiment votre vie.

ED : Votre livre est un essai historique et sociologique, mais il comprend aussi un témoignage personnel sur l’Église noire.

HLG : Oui, je suis né en 1950 et quand j’ai grandi à Piedmont, en Virginie occidentale, c’était une ville très majoritairement catholique, irlandaise et italienne. Seulement 2 500 habitants, dont 386 Noirs, mais ces Noirs étaient méthodistes, baptistes et pentecôtistes, appartenant à l’Église de Dieu en Christ (COGIC). Nous allions tous à l’église. Je chantais dans la chorale. Tous ceux que je connaissais allaient à l’église. Je veux dire que l’on n’y pensait même pas. Nous devions mémoriser ce que nous appelions des « pieces ». Mon premier, quand j’avais 3 ans, était « Jésus était un garçon comme moi et comme Lui, je veux être », et je l’étais ! L’enfant le plus jeune était toujours le premier à passer, parce que tout le monde devait réciter. J’ai dû apprendre par coeur ! Je le récitais et je rendais mon frère fou. Mon frère Paul a cinq ans de plus que moi. Je me suis levé devant la congrégation méthodiste de Walden, on aurait dit que j’étais à l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne ! J’étais pétrifié. J’étais abasourdi. Je ne me souvenais même pas de mon propre nom. Mais finalement, j’ai entendu une belle voix au fond de l’église, « Lève-toi ! ». C’était une voix féminine, et elle a dit : « Jésus était un garçon comme moi, et comme Lui je veux être ». C’était ma mère.

ED : Quelles ont été les circonstances de votre adhésion à l’Église méthodiste ?

HLG : J’ai rejoint l’Église quand j’avais 12 ans, dans le cadre d’un marché privé avec Dieu pour sauver la vie de ma mère. Ma mère n’était pas particulièrement religieuse. Mon père était un bon épiscopalien, mais il nous a dit, à mon frère et à moi, que le Ciel et l’Enfer étaient sur la terre, et que la plupart du temps on les créait soi-même, que dans une large mesure on façonnait son propre sort, son propre destin. Il croyait donc à l’autonomie individuelle, mais il disait aussi souvent que lorsque « vous êtes mort, vous êtes mort pour longtemps ». C’était le dicton préféré de mon père. Il aimait l’Église, mais je ne pense pas qu’il croyait à la vie après la mort. J’ai fait partie de l’Église méthodiste pendant deux ans, puis j’ai rejoint l’Église épiscopale.

ED : Quelle était la différence entre ces deux Églises ?

HLG : Il y avait très peu de Noirs dans l’Église épiscopale. L’Église épiscopale est une Église d’élite. Traditionnellement, c’est la « High Church », et très peu de Noirs aux États-Unis, même aujourd’hui, relativement parlant, font partie de l’Église épiscopale, alors vous pouvez imaginer ce que c’était dans les montagnes d’Allegheny, à mi-chemin entre Pittsburgh et Washington. Néanmoins, il y avait une église épiscopale noire à Cumberland, dans le Maryland, à 25 miles de là. Mon père a été élevé dans cette église appelée St. Philip Church. C’était une organisation noire, et la raison en était, comme on peut le lire dans le livre des Actes du Nouveau Testament (Actes, 8, 27-39), que Philippe a baptisé un eunuque éthiopien, qui lisait le livre d’Isaïe. Ce passage est essentiel car il montre la conversion précoce d’un Africain.

ED : Votre travail sur l’Église noire est donc à la fois une analyse objective et une expérience subjective ?

HLG : Zora Neale Hurston a une merveilleuse expression sur le pouvoir de l’anthropologie quand on retourne analyser les rituels des gens avec qui on a grandi. Hurston ne pouvait pas analyser sa propre culture, elle était trop proche d’elle : « Elle était ajustée comme une chemise moulante. Je ne pouvais pas la voir car je la portais. » Et elle écrit : « Il me fallait donc la longue-vue de l’anthropologie pour l’observer » (Mules and Men, 1935). Et pour moi, le fondamentalisme des gens que je fréquentais à l’église méthodiste, l’église de ma grand-mère, était trop lourd. On ne pouvait pas aller aux matchs de basket. On ne pouvait pas jouer aux cartes. On ne pouvait pas danser. J’adore jouer aux cartes, ma famille adore ça, jouer à toutes les formes de jeux de cartes. J’aime danser. J’adore le basket, le seul sport pratiqué dans notre école, et je n’ai rien fait de tout ça pendant deux ans. C’était utile parce que j’ai lu la Bible, c’était utile pour ma carrière ultérieure de critique littéraire. Mais pas de cinéma, pas de film autorisé. Mais quand j’avais 14 ans, mon frère est rentré de l’école et m’a emmené voir un film des Beatles, et j’ai alors abandonné l’église méthodiste pour rejoindre l’église épiscopale, l’église de mon père, et bien sûr, c’est une tradition religieuse très savante. C’était différent. J’ai été confirmé, et j’ai toujours été fasciné par l’Église, mais je dois dire que j’ai toujours été plus observateur que participant. Je me regardais participer et, plus important encore, je regardais les autres participer.

ED : Pouvez-vous en dire plus sur cette attitude de réflexivité ?

HLG : Je jouais aux billes par terre avec mes deux cousins. J’avais environ cinq ou six ans. Et tout d’un coup, je me suis levé, et je me regardais, moi et mes deux cousins, jouer aux billes depuis le ciel. C’était comme faire l’expérience d’être hors de mon corps. Je n’allais physiquement nulle part, mais je pouvais juste me regarder. Quand je suis redescendu avec mes cousins, j’ai dit : « Oh, mon Dieu ! Avez-vous déjà joué aux billes en vous regardant jouer aux billes ? » Et ils ont fait : « De quoi tu parles ? » Je suis rentré chez moi, je l’ai dit à mes parents et ma mère a dit : « Tu as un don spécial ». Plus tard, j’ai appris que cela s’appelait la double conscience et l’autoréflexivité. Elle a dit : « La prochaine fois que ça arrive, ne le dis à personne. Reviens à la maison et dis-le nous sans quoi on va penser que tu es fou. »

ED : Vous dites que votre père allait à l’église et n’était pas croyant ?

HLH : Longtemps après, j’ai commencé à étudier la religion. J’étais fasciné par la religion. J’étais fasciné par le fait que mon père aimait aller à l’église. Il aimait les grands rituels épiscopaux, il aimait l’encens, il aimait le Psautier, le Livre des Psaumes. Il aimait tout ça, mais il ne croyait pas à la vie après la mort.

Je vois cela aujourd’hui à Martha’s Vineyard en été. Tous les dimanches, l’élite noire, dont beaucoup de mes amis, se rend dans un lieu appelé Union Chapel. Les chaises près de l’autel sont dédiées à mes parents. J’adore cette église. Si vous regardez le film, il s’ouvre à Union Chapel. Ces gens y vont, et ils rient, et ils pleurent, et ils applaudissent, et ils se lèvent et applaudissent, et ils donnent des notes au prêcheur comme si c’était un artiste : « Je lui donne 95, un bon rythme, mais il ne savait pas danser ! » Et beaucoup d’entre eux ne croient même pas en Dieu, mais ils croient en l’Église.

C’est le cœur et l’âme de l’expérience noire.

ED : Le regretté Cedric J. Robinson, un brillant historien marxiste qui a été mon mentor lorsque j’étais un jeune professeur au département de Black Studies de l’Université de Californie (Santa Barbara), avait l’habitude de dire que l’histoire des mouvements politiques noirs, en particulier l’opposition des radicaux et des libéraux, provenait de la différence entre les esclaves d’un côté et les Noirs libres de l’autre. Plus généralement, quelle est votre opinion sur la position marxiste à propos de la religion des Noirs Américains ?

HLG : Je n’hésite pas à critiquer le marxisme dans le livre. Tout le monde parle de la deuxième partie de sa citation, mais pas de la première partie qui est plus politique [« La souffrance religieuse est, à la fois, l’expression de la souffrance réelle et une protestation contre la souffrance réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d’un monde sans cœur et l’âme de conditions sans âme. Elle est l’opium du peuple « , 1843]. En effet, l’Église est l’endroit où nos conceptions et nos pratiques politiques se sont organisées. Nat Turner était un chrétien. Bien sûr, vous savez que John Brown était un chrétien. Frederick Douglass était un chrétien. Martin Robison Delany était un chrétien. En 1877, il y avait 16 hommes noirs élus au Congrès pendant la Reconstruction, et trois étaient des ministres du culte. Sur les 2 000 hommes noirs qui ont été élus ou nommés à un poste pendant la Reconstruction, 243 étaient des leaders religieux. Et sans l’Église, il n’y aurait pas eu de mouvement pour les droits civiques. Martin Luther King a organisé le mouvement dans les églises. Ils avaient des rassemblements dans les églises, ils y chantaient des cantiques. King était pasteur, Ralph Abernathy était pasteur, Adam Clayton Powell Jr, membre du Congrès, était pasteur. Son père était pasteur de l’Église baptiste abyssinienne de Harlem. Le grand-père maternel de ML King, le père de King et King lui-même ont tous dirigé la même église, l’Ebenezer Baptist Church à Atlanta.

Nous avons donc une relation différente entre la politique et la religion qui défie la définition marxiste selon laquelle la religion est « l’opium du peuple ». Notre Dieu est un Dieu libérateur. Un Dieu qui nous libère finalement, tôt ou tard. Vous savez, l’une des expressions favorites du Black Christian Service est « Jésus est peut-être en retard, mais il est toujours à l’heure ».

ED : Justement, ne pensez-vous pas que la définition noire de Jésus comme un ami, un souffrant qui comprend les souffrants, est également essentielle ?

HLG : Oui, il y a un cantique célèbre qui dit « Jésus est mon ami ! » Les Noirs pensaient que Jésus serait une force rédemptrice pour une nation dont le péché originel était l’esclavage. Donc les Noirs aiment dire : « Dieu n’aime pas les gens répugnants (God don’t like ugly) ». Ça veut dire que Dieu n’aimait pas ces gens qui les réduisaient en esclavage.

ED : Vous êtes l’auteur d’un ouvrage sur les Noirs en Amérique Latine (Black un Latin America, 2011). Voyez-vous une différence entre les Etats-Unis et l’Amérique latine en ce qui concerne l’esclavage et la religion ?

HLG. En 1860, globalement, 5 millions d’Africains avaient été déportés au Brésil, 1 million à Cuba, 1 million en Jamaïque, 700 000 à Saint-Domingue, et seulement 388 000 aux États-Unis. C’est une surprise car, malgré ces chiffres, en 1860, nous sommes la plus grande communauté de personnes réduites en esclavage dans le Nouveau Monde : 3,9 millions. Pourquoi ? Parce qu’au Brésil et à Cuba, on faisait travailler les esclaves à mort dans les plantations de sucre. L’espérance de vie moyenne dans les plantations de sucre était de 7 ans, et ensuite les planteurs les remplaçaient, tout simplement. Quand j’étais enfant, esclavage et travail du coton étaient synonymes. Mais, quand vous considérez l’esclavage au sud de Key West (Floride), ce n’est pas pareil. La marchandise la plus importante du monde était le sucre. Aux États-Unis, ils faisaient attention à leurs esclaves, ils devaient les traiter assez bien, car le commerce atlantique était terminé en 1808. Ils ont donc fait croître la population d’esclaves. Lorsque le commerce des esclaves a été aboli, la population a augmenté naturellement. Cela ne signifie pas que l’esclavage était une institution heureuse, mais les Noirs étaient suffisamment bien traités pour que leur nombre puisse augmenter. Il faut ajouter que, dans une certaine mesure à Cuba, au Brésil et à Saint-Domingue, les gens pouvaient acheter leur propre liberté et s’affranchir. Il y avait aussi une grande population de mulâtres dans ces pays, car les Portugais, les Espagnols et les Français avaient une conception plus libérale de la sexualité interraciale.

ED : De ce point de vue, peut-être que la Nouvelle-Orléans était différente du reste des Etats-Unis ?

ED : La Nouvelle-Orléans était un endroit spécial. Il y avait une population créole, une communauté mulâtre. Il y avait aussi du Hoodoo, et beaucoup de catholicisme. La Nouvelle-Orléans est donc un cas particulier.

ED : Mais aussi un lieu très important pour la musique religieuse noire et le Jazz…

HLG : Oui, Ralph Ellison a dit quelque part que le jazz existerait un jour dans des salles de concert comme le Carnegie – qu’il ne serait plus une musique de danse – et il avait raison. Le temple du jazz se trouve maintenant au Lincoln Center, fondé par mon ami Winston Marsalis. Je fais actuellement une suite à Black Church sur l’histoire de la musique gospel et c’est très intéressant car j’adore le gospel. Je vais filmer demain Dionne Warwick à New York, parce que son nouvel album à paraître est sur le Gospel.

À propos de La Nouvelle-Orléans, Mahalia Jackson est une figure très importante. Elle représente l’âge d’or de la musique Gospel. Elle a émigré de La Nouvelle-Orléans à Chicago vers 1927, puis est devenue célèbre en 1947, avec un album intitulé Move on up a Little Higher. Elle portait toujours une robe ou une sorte de toge sur scène, presque comme une universitaire. C’est parce qu’on lui disait, que sans cela, elle était trop séduisante !

C’était peut-être vrai ! Elle est passée ensute sous l’aile de Thomas A. Dorsey, la personne qui a introduit les structures du blues dans la musique sacrée noire, et qui a créé la forme appelée le Gospel. C’était très controversé dans l’Église, mais ils ont fini par l’accepter.

ED : Au début de votre livre, vous montrez aussi qu’il y a une diminution de la participation religieuse des Noirs. Cela se produit avec toute la population américaine et européenne. Pensez-vous que l’ Église noire va surmonter ce déclin ?

HLG : J’ai fait ce film et ce livre parce que j’étais inquiet. J’ai une petite-fille de huit ans et nous avons dîné ensemble hier soir. Elle ne connaîtra jamais l’expérience de réciter un morceau comme je l’ai fait et tout ce qu’il ya de meilleur dans l’Église. Elle ne connaîtra pas ce sentiment de chaleur et d’amour que j’ai reçu de l’Église. Elle est passée à autre chose, vous savez. C’est inévitable. Mais le film et le livre sont des témoignages vivants pour les jeunes.

ED : J’ai été frappé par l’importance accordée aux femmes dans votre livre, qui ne sont pas très présentes dans la littérature sociologique classique sur l’Église noire (E. Franklin Frazier notamment). Sans parler des gays et des lesbiennes. C’est une avancée très importante, dans la mesure où le livre montre leur présence et leur rôle dans l’institution religieuse depuis son origine. Existe-t-il encore des obstacles à la présence des femmes et des homosexuels dans la Black Church ?

HLG : L’Église souffrait à cause de son homophobie et de son sexisme. Il y avait un garçon avec qui j’ai grandi, il s’appelait Chucky Stewart, Charles Stewart Jr. Il pouvait jouer du piano comme Mozart, il était incroyable. Il est allé à l’université de Fisk, et il était actif dans l’église et dans la chorale de l’église, une église locale là-bas. C’est l’une des premières personnes que j’ai connues qui était séropositive et qui est morte du sida. L’Église lui a tourné le dos. L’Église a fini par s’améliorer, mais l’Église a fait ça à beaucoup de gens. Aujourd’hui encore, j’ai interviewé une personne pour cette série, une personne plus jeune que moi. Je l’ai interrogée sur l’homophobie, et elle m’a répondu : « Dieu aime le pécheur et déteste le péché », une phrase traditionnelle dans l’Église. Cela signifie  que nous pouvons pardonner à nos frères et soeurs gays, mais que toute l’homosexualité est une abomination. Ce pasteur en est convaincu. Je n’en croyais pas mes oreilles, mais je ne pouvais pas lui faire la leçon au milieu de cette interview. Il y a donc encore de l’homophobie dans l’Église, mais il y a toujours eu des homosexuels dans l’Église !

ED : Comme Clarence H. Cobb, célèbre leader des Metropolitan Spiritual Churches of Christ, dans les années 1940 ?

HLG : Oui, absolument. Les gens dans le chœur, les maîtres de chœur… le prédicateur dépendait des hommes gays pour façonner la musique ! Et ils disaient en même temps que tous les gays allaient en enfer. Cette hypocrisie était répugnante pour les gens. En ce qui concerne les femmes, l’Église a toujours été dominée par les femmes. Aujourd’hui, il y a peut-être 70 ou 80 % de femmes parmi les membres, mais les dirigeants de l’Église sont en grande majorité des hommes. Donc si vous êtes une femme, vous savez combien vous allez devoir vous investir dans l’Église si vous choisissez d’en faire votre profession, si vous voulez être pasteur.

ED : Et que dire de la sécularisation croissante de la population noire américaine ?

HLG : Il y a une fracture de classe croissante au sein de la communauté afro-américaine à cause de la discrimination positive. Depuis la mort de Martin Luther King, la classe moyenne noire a doublé. Plus vous avez d’argent, si vos comptes sont équilibrés, c’est peut-être une horrible généralisation, mais vous ne cherchez pas avec autant de ferveur la miséricorde de Dieu.  Par ailleurs, le pentecôtisme est la religion qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde entier, et aux États-Unis, nous avons davantage de méga-églises, des gens comme T.D. Jakes, dont l’Église compte 30 000 membres. Ces personnes sont des hommes d’affaires. Ce sont des leaders culturels. Ils ont changé la nature du christianisme noir.

ED : Ne pensez-vous pas qu’ils représentent la montée de la théologie de la prospérité par rapport à l’évangile social ?

HLG : Oui, mais l’Évangile de la Prospérité a plusieurs visages. Le plus vulgaire était le Révérend Ike. Sa devise était « Vous ne pouvez pas perdre avec les trucs que j’utilise ». Je me souviens d’une fois où je l’ai écouté à la radio, il a dit : « Eh bien, nous proposons une prière à 50$, une à 100$ et une à 500$, et Dieu répond plus rapidement avec les 500 $ ». Beaucoup de ces types sont des escrocs et des tricheurs. Mais, d’un autre côté, T. D. Jakes encourage les gens à bien comprendre le capitalisme et à l’utiliser, à épargner et à investir. Pas très différent de la Harvard Business School !  Je veux dire qu’il forme les gens. L’Église noire est aussi l’endroit où nous avons appris le fonctionnement du capitalisme. La Fondation Ford ou la Fondation Mellon n’accordaient pas de subventions aux Noirs au XVIIIe siècle pour créer ces Églises, et bien sûr, la première dénomination, l’African Methodist Episcopal Church de Philadelphie, une société multinationale aujourd’hui, a été entièrement soutenue par les Noirs et leur argent. Nous ne pouvons pas sous-estimer l’importance des nombreuses facettes avec lesquelles l’Église a éduqué la communauté afro-américaine : économique, politique, spirituelle, culturelle.

La poésie noire est née des sermons oratoires noirs. C’est le lieu de naissance et le terrain de transformation et d’épanouissement de l’Amérique noire, sur le plan social et éducatif. Et si j’étais né 100 ans plus tôt, j’aurais été un prédicateur épiscopal méthodiste africain et un évêque dans l’Église, et je me serais présenté au Congrès comme Adam Clayton ! Probablement…

ED : Selon W. E. B. Du Bois, la prédication, la musique et la frénésie sont les trois caractéristiques de la religion noire américaine après l’esclavage. Pourtant, vous montrez qu’il existe aussi une tradition lettrée dans la religion noire américaine. Par exemple, Bilali Mohammed (1760-1855 environ), un esclave musulman dont vous parlez, a été enterré avec un Coran et un cahier de treize pages écrites de sa main. Les Kongo déportés aux Amériques étaient christianisés, et certains étaient certainement déjà alphabétisés. De plus, il y avait aussi des « érudits oraux » au sein de la culture orale en Afrique de l’Ouest (griots, babalawo, bokono). L’Église noire serait-elle aussi l’héritière de cette tradition, plus interprétative qu’expressive, puisqu’il existe des intellectuels religieux noirs américains depuis le XVIIIe siècle (Richard Allen, fondateur de l’AME, par exemple) ?

HLG : Il est vrai qu’un grand nombre de Noirs ont embrassé une forme de religion émotionnelle dans l’Église baptiste et méthodiste. Mais il y avait effectivement une religion noire plus réfléchie, avec différentes formes théologiques dans l’Eglise noire. Permettez-moi d’illustrer cela par le cas de trois pasteurs noirs, tous issus de l’Église épiscopale méthodiste africaine. Richard Harvey Cain est né libre et a été pasteur d’une église à Brooklyn, NY. Après la guerre civile, il s’est installé à Charleston et a reconstruit l’église Mother Emmanuel, qui avait été détruite en réponse à la prétendue révolte des esclaves de Denmark Vesey en 1822.  Richard Harvey Cain a engagé le fils de Denmark Vesey, qui était architecte, pour reconstruire l’église. Puis Cain a été élu à la Chambre des représentants des États-Unis en 1872, et il a été réélu en 1876.

Le deuxième modèle était un évêque, Daniel Payne. Lui aussi est né libre, à Charleston, en Caroline du Sud. C’était un théologien très conservateur. Donc, pour faire court, il a été élu évêque en 1852. Il convainc l’Église de fonder l’université Wilberforce, le plus ancien des collèges et universités historiquement noirs de notre pays, fondé par des Afro-Américains. Il deviendra le premier président afro-américain de l’université. Or, il désapprouvait fortement le culte traditionnel africanisé. Il était contre les formes traditionnelles de culte du Saint-Esprit. Il détestait tout cela, toutes ces choses sur lesquelles vous et moi écrivons. Avec toutes ces statues d’Eshu que j’ai dans cette maison, il aurait eu du mal ! Il pensait que c’était le culte du Diable. Les gens dansaient, bougeaient et pleuraient, ils invoquaient le Saint-Esprit. Mais pour lui, ils invoquaient le Diable. Un jour, il a sauté de la chaire et a dit « Stop, stop, vous adorez le Diable ! » Il pensait que c’était du paganisme. Il fallait qu’ils s’assoient en ligne et chantent les hymnes.

Le dernier exemple appartient au mouvement du nationalisme culturel noir, Henry McNeal Turner. Lui aussi est né libre. Tous les trois sont nés libres. C’est ce qui est intéressant chez eux. Turner est né libre en Caroline du Sud et a été l’un des aumôniers afro-américains de l’armée de l’Union. Après la guerre civile, il a travaillé pour le Freedmen’s Bureau et a même été élu à la Chambre des représentants de Géorgie en 1868. Il est également devenu évêque de l’Église épiscopale méthodiste africaine en 1880.  Plus tard, il a changé d’avis, et il a été le père du retour en Afrique. Il est allé au Liberia et au Sierra Leone, et a écrit à ce sujet (African Letters, 1893). Peu de temps après la fondation de la Convention baptiste noire, à l’automne 1895, lors de la première Convention baptiste noire, Turner a donné une conférence qui a mis la salle sens dessus dessous. Il a dit : « Je crois que Dieu est un Noir », et les gens pensaient qu’il était fou.

J’étais une jour au Nigeria avec Wole Soyinka, et nous sommes allés chez son cousin. Ils avaient une représentation de Jésus en homme blanc, et j’ai dit : « Vous savez que Dieu est un Noir, n’est-ce pas ? », et ils m’ont regardé comme si je disais la chose la plus invraisemblable… vous pouvez imaginer le scandale en 1895.

Nous avions donc ces trois hommes, Richard Harvey Cain, Daniel Payne et Henry McNeal Turner, qui représentent différentes manifestations du christianisme dans la même dénomination. Il y avait également un autre homme, le révérend R. H. Boyd, dont la biographie était très différente. Il était né dans le Mississippi et avait passé les vingt premières années de sa vie comme esclave. Il était incapable de lire et d’écrire, puis il est allé à l’école après l’émancipation et il est devenu pasteur et homme d’affaires. Il a fondé le National Baptist Publishing Board en 1895, qui publiait des magazines et du matériel pour l’école du dimanche.  En 1904, il a cofondé la Trust Company Bank, permettant ainsi aux fidèles noirs d’ouvrir leurs premiers comptes bancaires. Quatre ans plus tard, en 1908, il fonde la première entreprise de poupées noires au monde. Cela ressemble-t-il à l’opium du peuple ? Non, c’est bien plus compliqué que cela. La religion a façonné tous les aspects de l’expérience des Noirs et de leur participation à la société américaine au sens large. L’Église noire était le centre d’un monde dans un monde, un monde derrière « le voile », pour reprendre la métaphore de Du Bois. Nos ancêtres ont reproduit le monde dont ils étaient exclus. La meilleure chose à faire dans cette terrible situation est d’empêcher votre oppresseur de définir qui vous êtes. C’est ce qu’ils ont fait, et c’est le monde que je célèbre. C’est le monde que je célèbre dans mon livre sur l’Église noire.

ED : Une dernière question, concernant la source africaine de l’Église noire. Vous avez consacré un livre important à Eshu, le dieu trublion des Yoruba et des Fon. Vous montrez que le « signifying », c’est-à-dire le double sens, l’ironie, le discours indirect, le jeu de mots, est une caractéristique essentielle de la culture noire. Trouvez-vous un équivalent de cette rhétorique dans l’Église noire ?

HLG : Les protestants ont diabolisé Eshu, notre bien-aimé saint patron. Donc Eshu n’a pas eu la chance de se manifester dans l’Église. Il n’est pas devenu la figure du Saint-Esprit. Ce serait un lien logique, puisque le Saint-Esprit fait le lien avec les autres personnes de la Trinité et aussi avec les hommes, mais cela ne s’est pas produit. Le protestantisme a oblitéré les formes de médiation qui caractérisaient les dieux dans les religions africaines et les saints dans le catholicisme romain.  Dans le protestantisme, on peut parler directement à Dieu. On n’a pas besoin de médiateur, or Eshu est précisément le médiateur entre les humains et les dieux. Le seul endroit où Eshu a survécu, c’est dans le monde séculier à travers les modes de « signifying » et grâce personnage de « Signifying Monkey». Qu’en pensez-vous, puisque vous avez consacré un ouvrage à cette divinité (avec Michèle Chouchan, Eshu, Dieu d’Afrique et du Nouveau-Monde, 2012) ?

ED : Certainement, mais la conception du Diable dans la religion populaire noire ressemble quand même un peu à celle d’Eshu, debout à la croisée des chemins…

HLG : Oui, il se trouve indubitablement à ce carrefour avec Robert Johnson, le chanteur de blues. C’est le Diable à la croisée des chemins, et c’est clairement l’héritage d’Eshu.

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